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Mercredi

*Ding Doooong*
« Maaaamaaaannnn, y’a un coliiiiiis hiiiiiiiiiiiiiiiiii elle est arrivéééééééééééééééééeeee youhouuuuuuuuuuuuuuuu !!!! «
Et merde… Adieu potentielle grasse mat’.
Le temps de sauter dans mes fringues, le facteur est déjà en train de repartir. Il est habitué : colis du mercredi = enfant qui réceptionne.
Mini court, saute, rebondi à ma gauche, se place soudain à ma droite, arrive à me bousculer dans le dos et atterri pile devant moi avec un énorme carton. J’avoue, j’ai rien compris.
« Pile devant moi » c’est entre ma zombitude et la cafetière. Mon but ultime à l’instant T c’est avoir ma dose de caféine pour savoir où j’habite, ce qu’il se passe et qui est ce petit humain à ressort qui s’agite partout avec un couteau dans la main.
Un couteau ??
A peine j’ouvre la bouche qu’il éventre le carton.
Oh bordel… Jsuis pas sûre qu’une table de DJ amateur fonctionne encore une fois coupée en deux.
Comprenez, ça fait plusieurs jours qu’il l’attend, ce cadeau-là, pour ses dix ans. Alors l’excitation est à son comble…
« Tu veux pas prendre une paire de ciseaux, chéri, plutôt ? »
Reste zen, Marie, c’est un chouette moment pour lui, lui gâche pas tout, même si ton besoin de caféine devient vraiment compliqué à gérer. C’est lui qui passe avant tout.
Ses yeux s’écarquillent dès que le carton cède. Il plonge dans la multitude d’objets qu’il contient. Son père a dû faire une commande groupée sur le site de musique.
Il farfouille, envoie bouler la majorité du contenant … qui était neuf… Dont un paquet de « Strap security locks », je n’ai aucune idée de leur utilité, mais on dirait des plugs. Je vais me garder d’évoquer tout haut mon idée de là maintenant. Mais quand même, … ça ressemble.
Y m’faut du café ptaiiiiin.
« Elle est belle ! Même si je pensais qu’elle serait plus grande, quand même… »
Ah bah oui, hein, mon Mini, c’est un pourri gâté, alors faut toujours qu’il ait à redire. Va vraiment falloir qu’on travaille là d’ssus.
Il a son Graal dans les mains, rectangulaire, à la tronche d’un ado en pleine poussée acnéique, des boutons partout, et de longs fils chevelus, emmêlés, qui devaient être bien emballés quelques secondes avant. Ça va être pratique.
« On y va ????
- Euh… oui, si tu veux. Mais où ? »
Pas de réponse, plus d’enfant, juste un courant d’air à la façon de l’oiseau dans Bipbip et Coyotte. Et moi, Coyotte, je reste là, béate, à ouvrir et refermer la bouche comme un poisson rouge. Un poisson rouge coyotte au mononeurone non-décollé faute de caféine.
« Je l’installe sur l’ordinateur !!! Je suis sûre que ce fil-là, ça rentre là d’dans ! »
Et merde…
J’y connais rien moi ! Mais lui non plus même s’il m’assure que oui… Son père rentre tard ce soir, son grand frère est au collège… Fébrile comme il est, c’est juste pas possible de le faire attendre plus longtemps. Jsuis pas plus con qu’un autre, vais tâtonner mais y arriver. Peut-être.
Je peux faire dès à présent t le deuil d’une journée potentiellement facile.
Et nous voilà à l’étage, lui tout tremblant m’envoyant toute son impatience directement dans le système nerveux et moi, pliée en deux à mater la tour d’ordinateur.
C’est du putain de chinois.
« Y’avait pas un papier ou un CD pour le logiciel qui va avec ?
-Non !? Ah si peut-être ? Jvais voir !»
Une seconde trois quart : escaliers dévalés, retour en trombe un papier à la main.
A peine le temps d’envoyer un texto d’à l’aide à son père.
« Tu fais quoi M’man ?????
- Je vois si Papa peut m’aider mais je doute qu’il puisse répondre »
Son impatience… Mon dieu comme ça me donne du lourd qui m’empêche de respirer.
Il place le papier entre mon téléphone et mes yeux, histoire d’être sûr que je ne dérive pas sur le message FB que je viens de recevoir. Il le sait, que je peux facilement me disperser, et clairement, là, ce n’est pas une option acceptable.
Le papier, c’est une notice explicative en anglais pour choper le logiciel sur le net et trouver « how to install ».
Y’a pas internet.
Je sais pas.
Je comprends rien.
Il a les larmes aux yeux et son père ne répond pas.
Soudain, il a une idée : Et bim, comme une brute, il débranche tout le derrière de la tour. Pis souffle sur un truc.
Je vais pour protester… Et puis en fait, je m’en fous. On est plus à ça près.
Autant essayer : la nouvelle génération gère tellement mieux tous ces trucs-là, on dirait qu’ils naissent avec le logiciel « troisième millénaire » déjà intégré.
Petite être magique : internet s’allume. J’ai rien compris de ce qu’il a fait. Mais ça me va.
Register… Sign in… gnagnagna… Faut un email.
« J’en ai une, une adresse mail, jl’ai fait avec papy. »
Ah… Première nouvelle. Bon, okay.
Gling : texto-retour de son père : « Je m’en occupe ce soir » - Je lui réponds qu’en fait, on se débrouille, Mini ayant trouvé une technique brutale mais visiblement fonctionnelle : arracher la clef wifi, lui envoyer un souffle magique et la rebrancher.
Choisir un mot de passe que Sir tête-en-l-air se rappellerait… Et que moi aussi (les chiens ne faisant pas des chats)… J’insiste une fois de plus sur le manque de café de cette histoire. C’est cruel.
C’est la campagne ici, la rapidité d’exécution du réseau se rapproche plus de la tortue que du lièvre… Entre chaque moment d’attente, je reçois une nouvelle salve subtile d’impatience en plein dans l’aura.
PPPPPfiou, respire, Marie.
« Calme-toi, s’il te plait, chéri, tu le sais, en tant que DJ, qu’on ne peut pas faire plus vite que la musique… »
Internet disparait. Clef arrachée, souffle magique, rebranchement, rallumage.
Texto de monsieur : « Normalement, y’a internet, pas besoin d’arracher la clef !! »
Je choisis d’ignorer, tant que ça marche, moi, ça me va. Je rêve de ce moment où il jouera avec son nouveau truc, là, que ça me cassera les oreilles, mais que je pourrai vaquer à mes occupations personnelles, noyée de café.
C’est le bordel, leur truc, faut créer un compte, mettre le numéro de série de la table, ça t’envoie sur un autre site qui te propose deux logiciels, le premier faut raquer, alors tu te fais avoir mais tu repars en arrière, tu choisis le deuxième gratoss, mais faut refaire un nouveau compte pasque c’est plus le même site. Le tout avec internet qui s’éteint toutes les deux minutes. Mini qui s’agace et dont le souffle magique se change de pire en pire en tornade à chaque rallumage.
Et dans le grenier, sans lumière du jour, pliée sous pente, j’ai de plus en plus de mal à respirer calmement. C’est vraiment pas mon truc la geekerie.
Et là, c’est le drame : le logiciel doit télécharger. Mais internet ne reste pas assez longtemps. Faut réussir à timer le temps d’internet pour suspendre le téléchargement sans qu’il s’annule entre deux souffles magiques. Mais ça plante à chaque fois.
Ça ne fait qu’une heure et demi qu’on est dessus, que je suis réveillée, je déteste déjà cette journée.
Mini est à cran de désespoir impatient. Sa jolie table de DJ la regarde dans le blanc de l’œil tout en restant éteinte. Le drame monte. Je suis à cours d’idée. En fait, j’ai même carrément envie de me pendre. Et puis de pendre la table, l’ordinateur et internet. Pas mon fils, quand même, ça se fait pas.
Et puis devant les yeux de pet shop de Mini, emplis d’une tristesse exagérée, on me souffle une idée frisant le génie : il lui reste des sous d’anniversaire. Allons acheter un jouet.
Vraiment, ça sauverait la situation.
Pas le choix : va falloir prendre la bagnole, taper quelques bornes, plonger dans le monde extérieur et supporter la foule. Faire passer cette journée d’une façon ou d’une autre jusqu’à la libération du « ça fonctionne ». Je me pendrai bien une seconde fois mais sacrifice maternel oblige.
Je lui soumets l’idée… Il rayonne et file s’habiller plus convenablement (entendez par là, moins à poil, parce que sa façon de se fringuer reste toujours très loin de pouvoir être qualifiée de convenable).
Texto à son père : « Je craque, te laisse gérer ce soir, on file acheter un jouet pour désamorcer la bombe. »
Texto à Maxi : « Je vais faire quelques courses avec ton frère, tu vas rentrer avant nous. »
Réponse de son père : « Prends lui des enceintes et un caisson plutôt. »
Réponse de Maxi : « Jdois sortir moi, cet aprem … au pire je me fais un sandwich.»
Gling * Vous avez 10 notifications pour le boulot *
Clac deux messages internet des copines.
« Maaamaaannn, chuiiii prêêêêêt !!!! On y vaaaa ?????? »

Texto à son père : « Nan mais vont pas me demander des trucs techniques ou quoi eux aussi ? »
Texto à Maxi : « comme tu veux, même si je pensais passer acheter un truc à bouffer à emporter pour éviter de cuisiner ce midi. »
Gling * Vous avez une nouvelle notifica…
-pviiiouuu écran noir -
Mon téléphone s’éteint tout seul d’un coup. J’ai pas compris pourquoi mais je dois avouer que je l’envie.
Hop, sans que je ne touche à quoique ce soit, il se rallume. Il a dû avoir pitié. Je pense.
Réponse de son père : « Ah bah oui sûrement, laisse tomber, je vais le faire, n’y va pas. »
Mouais, trop bien, ça m’avance tiens, je désamorce comment moi maintenant ? Hop, jfais semblant de pas l’avoir vu, ce message.
Réponse de Maxi : « tu veux acheter quoi à manger ? »
Bon, celui-ci aussi, je décide de l’ignorer. J’en sais rien moi, il verra bien.

Bon, bin, on va aller acheter un lego. Hein.
Et puis se battre pour le décider à faire ses devoirs, j’avais oublié ce détail, dis donc.
Et croiser Maxi qui me racontera une histoire abracadabrante sur le fait que, quand même, c’est pas de sa faute, mais que j’ai un mot d’un prof à signer, et qu’il a une heure de colle de rien avoir fait de mal.

Un mercredi sommes toutes bien ordinaire.

Voilà pourquoi, le mercredi soir, c’est apéro.
Je tuerai pour un irish coffee.

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