Épistolaire au grand gâchis

 

 

Il y a ce nuage, opaque ouate, qui t’étouffe.

Tu es souffrant, tu ne sens plus.

L’odeur douce enveloppante du pain grillé et du café,

Celle de la pluie après le soleil, du gazon qui suit la tonte,

Comme c’est bon de renifler à plein poumon le parfum d’essence des vieux garages,

La fragrance des corps de ceux que tu aimes,

Ce plaisir d’iode de mer quand le vent te l’offre,

le retour des fleurs au printemps...

Tu sais, je me rappelle à peine de ton arôme, sûrement j’oublierai.

 

Il y a ce nuage, opaque ouate, qui t’aveugle.

Tu es souffrant, tu ne vois plus ;

Ça te délave les arc-en-ciels, pâlit tes levers de soleil, déprécie les couchers.

Tu ne contemples plus les beautés, t’indiffères de leurs charmes.

L’émerveillement mis au placard, comme un souvenir de vie d’avant,

Quand tu vivais.

J’y vois clair, moi, mais je ne peux pas comprendre.

Si tu pouvais te voir comme je te voyais, ta brume se dissiperait peut-être...

Aujourd’hui, j’ai perdu tes détails et tu n’es plus qu’une ombre de silhouette,

Tu disparais.

 

Il y a ce nuage, opaque ouate, qui t’insensibilise.

Tu es souffrant, tu ne touches plus.

Il date de quand ton dernier frisson ? Ta dernière réelle sensation ?

Est-ce que tu aimes toujours jouer des dents sur les grains de poire ?

Te frotter fort la langue avec la brosse à dent,

Jouer de la texture du tissu entre tes doigts,

Te passer le coton tige dans l’oreille après la douche,

Appuyer fort sur une courbature,

Gratter une piqûre de moustique à sang,

Plonger dans la fraîcheur en plein été, t ‘envelopper du doux plaid en hiver,

Te brûler l’intérieur d’un nectar de choix...

Et les caresses, qu’en est-il des caresses ?

Frôleuse fraudeuse, j’ai essayé de jouer, mais tes mains m’éludent et tu refuses les miennes.

J’espère malgré tout que tu en échanges toujours à d’autres.

 

Il y a ce nuage, opaque ouate, qui t’assourdit.

Tu es souffrant, tu entends mais n’écoutes plus.

Personne ne peut te comprendre, se mettre à ta place,

Même si les maladresses sont teintées d’amour,

Nos conseils tu n’en veux pas.

Ecoutes-tu toujours le chant des oiseaux ?

Prends-tu la peine d’encore tendre l’oreille  ?

Sur le bruit des vagues les jours où tu arrives à sortir du quotidien,

Sur le son des cœurs des gens qui t’aiment, c’est important, tu sais.

Et leurs rires qui, un jour, recommenceront à être contagieux, n’en doute pas.

Mais surtout : Ta musique… Élément sacré, j’ai peur que tu l’oublies.

Que tu ne prennes plus le temps de te l’offrir, comme si tu ne la méritais pas.

Alors qu’elle est en toi depuis toujours.

Et l’écouter, vraiment, ne pas t’en servir pour faire taire les pensées ou pour te fuir.

Cette musique dont tu es imprégné, c’est la Vie qui danse encore dedans.

Ce n’est pas trop, c’est au juste battement de ta mesure.

 

Il y a ce nuage, opaque ouate, qui t’ôte le goût de vivre.

Tu es souffrant, tu n’as plus d’appétit.

Avoir envie, fermer les yeux, lécher, mordiller, se laisser remplir et se délecter,

Sentir le salé, le sucré, le doux, l’amer, l’acide,

Les subtiles nuances et les textures,

Quand ça coule, quand ça craque, quand c’est mou ou que ça t’écorche le palais...

Et rire, la bouche pleine, au milieu d’un déjeuner en tête à tête !

Entrevoir un bout de peau, vouloir y passer sa langue,

Rêver à la saveur d’une intimité...

C’est dur, tu sais, de sentir mourir ces souvenirs de dégustation.

 

Tu cours, tu fuis,

Moi je virevolte et j’oscille,

Nous sommes le lièvre et la tordue

Tu te sens faible, mais tu es dur, trop,

A en être blessant

Tu m’éjectes de ta non-vie et tant pis.

J’intègre que tu ne m’as pas rendue heureuse, j’essaye.

Oui, je l’ai fait toute seule et je peux recommencer.

Sans toi.

S’il te plaît, reste loin maintenant,

Reste loin de moi.

 

Reviens.

 

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