Ancrage
Je me sentais un peu lasse.
Pour aucune raison précise, pour mille et une raisons différentes.
Lasse…
Aujourd’hui, j’avais décidé de ne rien faire.
Rien d’autre que de me vautrer dans ma lassitude,
de la vivre à fond, une bonne fois pour toute,
pour qu’elle passe, au plus vite.
En prévision : Un livre pour m’y cacher et un café aussi noir que le nuage de mon dedans.
Et puis, soudain, tout avait vrillé.
Il y avait eu la douceur du soleil tout neuf,
l’hyperactivité des oiseaux,
les odeurs du réveil sauvage,
les chatouilles du pollen,
le bruit de la vie de sève, qui bouillonne et remonte,
tous ces petits insectes qui viennent te squatter de partout, mine de rien, naturellement,
comme si tu leur appartenais.
La valse du retour des beaux jours qui me tournoyait autour et m’invitait à venir danser.
Etait venu le temps de quitter les cocons en coton dans lesquels j’avais enfermé mes pieds tout l’hiver,
de réveiller ma voute plante-terre… en contact direct.
De me remplir chaque sillon de base de boue et de suc des herbes écrasées sous mon poids.
Quitter mes sens d’en haut pour ceux d’en bas,
mettre de côté mes neurones hivernaux pour mes plantes de pied printanières,
passer du violet au rouge, de la couronne à la racine,
Descendre ;
C’était maintenant.
Me vautrer, oui, mais pas comme je le pensais.
Ça promettait d’être nettement moins reposant que prévu, plus physique.
Se salir, gouter, écouter, renifler, toucher, tâter, tirer, gratter, arracher.
Se défouler ça te fait taire les pires frustrations.
Laisser place au vert te vide la tête.
Pas d’outils, pas de gants, un corps à corps équitable,
une fusion, une bataille, un ébat.
Les ronces me déchiraient la peau, les orties m’empoisonnaient,
la terre m’asséchait, me décollait les ongles, buvait mon sang,
les vers se faufilaient entre mes doigts,
les fourmis noires me crapahutaient pendant que les cramoisies me brûlaient ;
C’était de bonne guerre.
Je m’imposais, géante ;
Je subissais, minuscule.
Et soudain, la nuit, arbitre, me fit remarquer qu’il me fallait abdiquer.
C’était l’heure, maintenant.
Elle me lança même qu’il fallait me calmer, regagner ma raison, ma condition d’humaine civilisée.
Nettoyer mon corps, panser mes déchirures, réfréner mes saignements, masser mes muscles, résister aux démangeaisons.
Je n’avais plus mal à la lassitude, n’avais plus de douleurs de frustrations.
Elles avaient été remplacées par une multitude de petites plaies, de douleurs physiques, nettement plus faciles à soigner.
J’étais allégée.
Les beaux jours étaient de retour.