Il faut maintenant que je te raconte une histoire.
Dans ce conte bien connu, il est une gosse nommée Alice.
Elle occupe ses journées comme elle peut et ne sait même pas encore à quel point elle s’ennuie.
Jusqu’à ce que débute son initiation.
L’ apprentissage lui est apporté par un curieux lapin blanc.
Du genre bestiole qui s’active…
Quand même, c’est pas commun.
Celui-ci court, incessamment, après le temps,
beaucoup trop pressé pour se rendre compte, qu’à son passage vont se déclencher des événements… Des événements primordiaux…
Le lapin a bien conscience de l’existence d’Alice.
Parfois il sort le museau de ses préoccupations et entre en contact. Bien souvent, l’échange reste furtif et bien au deçà de ce qu’Alice mérite.
Heureuse de se voir exister pour lui, elle ne s’en rend pas compte.
Puis, très vite il replonge en course contre la montre.
Alice, elle, piquée d’une irrésistible curiosité, continue d’essayer de suivre et d’attirer son attention.
La plupart du temps, en vain.
De toutes façons, tout le monde connaît cette histoire :
Son intérêt n’est pas la rencontre finale entre le lapin et Alice,
mais bien le voyage d’avant,
non ?
Ce fameux « pays des merveilles »…
Et les rencontres qui le composent.
Donc,
le lapin, bien malgré lui, embarque la jeune Alice aux pays des merveilles.
« Malgré lui » parce qu’elle le suit, sans même lui demander son avis.
Un pays éloigné du réel.
Ce réel où elle enfilait les journées comme les perles semblablement grises d’un collier fade.
Lancée à sa suite, elle tombe dans son terrier.
Tombe,
Tombe…
Tombe !
Au début, Alice s’étonne : d’un terrier, normalement, on ne tombe pas.
Elle tombe en terrier comme on tombe en amour : sans filet.
Tout a une fin, la chute ne fera pas exception.
Atterrissage en endroit non moins vertigineux que sa chute :
Impossible d’y porter la moindre mesure logique : tout semble déformé d’une beauté enivrante.
Il ne s’agit pas de pure ivresse, mais d’euphorie presque malsaine d’un manque total de repère.
Aucune profondeur ou de trop, perspective à profusion mais en manque, relief excessif comme pas assez…
Alice se trouve dans une pièce où il est impossible de s’accrocher au moindre détail pour s’oublier, il n’y existe que vérité crue.
La vérité crue... et une table.
Mais plus de lapin.
Posés sur le meuble deux objets à consommer… chacun pouvant lui changer violemment l’apparence.
« Alice, si tu cherches à plaire, si tu souhaites te changer, c’est maintenant... Conforme-toi.»
A chercher l’attention du rongeur, elle risque de ne plus se retrouver.
Mais la gamine, bien sûr qu’elle veux plaire. Ravie de pouvoir enfin muter, se jette sur les consommables… L’un la fait grandir et prendre beaucoup trop de place (et de toutes façons, de cette histoire, elle en ressortira forcément grandie, qu’importe la place nécessaire qu’il lui faudra prendre), l’autre la rapetisse à la rendre facilement oubliable.
L’échec est cuisant, rien n’est jamais assez bien. Intense déception. Profonde tristesse.
Jamais elle n’arrivera au niveau du lapin.
Alice pleure. Fort. Intensément. Beaucoup. Beaucoup trop.
Et ses larmes s’amoncellent.
deviennent flaque.
Puis rivière.
étang, lac et
Océan.
Ses larmes tsunamisent cet inrepérable pièce.
A se noyer dans elle-même, le courant l’envoie vers la sortie.
S’en suit alors une multitude de rencontres ponctuées par ses essais de conformité.
Alice empile les aventures, se retrouve en alternance minuscule et géante.
Chaque fois qu’elle croise un nouveau personnage, ses repères se décalent, se fondent, explosent, se reconstruisent… Une initiation n’est pas une promenade de santé…
Des fleurs l’insultent, lui détruisant l’égo ;
Des jumeaux monstrueux cherchent son attention aussi fort qu’elle cherche celle du lapin, rôles inversés ;
Une chenille condescendante la pique au vif, déversant sur Alice sa colère de mal-être et se suicidant à petit feu, sans connaître son destin de magnifique papillon ;
Toute une troupe de joyeux autre rongeurs se noient de théine et de fête comme on s’anesthésie la vie ;
Un fou accepte de porter le chapeau ;
Un morse séduit des huîtres curieuses, pour arriver à ses fins et au bout de sa faim, à quoi la séduction sert-elle d’autre si ce n’est que pour étancher son propre égoïste plaisir ?
Un chat déséquilibré joue un jeu pervers malgré sa souriante apparence ;
Une reine implacable et cruelle domine les cœurs… Refuse d’admettre ce qui ne va pas dans son sens quitte à tout forcer et peindre les roses en rouge ;
Son roi minuscule se plie aux moindres de ses volontés, à s’oublier ;
Et personne d’autre n’a les cartes-valets en main.
Alice finit tout de même par retrouver le lapin. Leur rencontre est superficielle.
Il n’a surtout plus envie qu’Alice lui court après… Ce jeu ne l’amuse plus.
Il paraît tellement inoffensif... Sa couleur est si pure... Qui aurait pu deviner comme son instinct de chasseur-séducteur est aiguisé ?
A moins qu’il ne se soit vraiment jamais rendu compte de ce qui se jouait.
Qu’il n’ait pas compris, qu’il n’ait pas vu comme elle suivait, comme elle cherchait, comme elle essayait ?
Est-ce possible ?
Le conte entame sa fin sur un conflit.
La reine de cœur attente un procès à la jeune femme.
La peine tombe : « qu’on lui coupe la tête. »
Parce qu’il est évident qu’il est rare de pouvoir allier la tête et le cœur.
Alice termine son voyage là : en se réveillant.
Retour en réalité fade mais vrai.
Le lapin a disparu. C’est logique.
Il faut se rendre à l’évidence, ils ne vivent pas dans le même monde.
Il est temps pour moi de sauter sans concession dans un autre vide-terrier initiatique.
Je regrette de n’avoir jamais réussi à vraiment te rencontrer avant de fermer notre livre.
Malgré ça, de tout cœur, un grand Merci pour le voyage.